Vivre ou survivre ?

Il existe chez toi une dualité certaine entre ta survie et ta volonté de vivre — entre tes besoins matériels et tes aspirations spirituelles.
D’un côté, tu aspires à grandir, à t’intensifier, à te connaître et à faire une expérience de toi-même toujours plus riche. Et de l’autre, tu as besoin d’être rassuré, de ne surtout pas te mettre en mouvement, de t’entêter toujours plus dans la version passée de ta personne — celle que tu crois avoir si difficilement acquise. Tu vis, névrosé, au beau milieu de cet écartèlement.
Ton excellence au petit jeu de la survie t’a permis d’accéder au niveau supérieur : la Vie, sans « sur » pour la précéder. Seulement… tu portes en toi le poids de millions d’années d’évolution (pour ne pas dire de milliards, si l’on se permet d’aller plus loin), qui ne cessent de te rappeler à l’éternel mécanique de cette phrase : « subvenir à tes besoins » — au delà même des évidentes nécessités qu’elle contient. En d’autres termes : tu as appris à survivre, et non véritablement à vivre. Car vivre ne s’apprend pas, cela se vit — c’est tout.
La Vie est antinomique à la survie — car elle accepte la mort en son sein. Et elle ne peut donc pas émerger d’elle-même, en « vivant » avant de « survivre », car, par définition, elle ne pourrait pas se maintenir. La Vie a en effet d’abord besoin de refuser la mort pour exister. Ce n’est qu’ensuite qu’elle peut se permettre de l’accepter — si ce n’est de la glorifier —, afin de s’accomplir.
En fait, les actes de « Vie » dépourvus de pulsions survivalistes sont justement ceux qui trahissent ton instinct de conservation au profit de bénéfices transcendants à la matière. Tu es une créature qui vit au beau milieu de ce rapport de force délicat, tourmenté, oscillant entre ton besoin de conservation et ton envie d’expansion.
Tu vois ton attrait pour la conservation se traduire par ce besoin de confort et de sécurité, qui passe alors par une certaine tendance à la fixation, t’éloignant ainsi du mouvement intrinsèque à l’expansion. Celui-ci peut donc te nuire, car il te fait refuser ce vers quoi tu tends naturellement au profit de l’aveugle surdité de ta petite membrane personnelle. Mais… à l’inverse, si tu t’expands à en oublier de survivre, tu mourras et, de toute évidence, tu ne pourras donc plus t’accomplir par la Vie.
Voilà l’insolvable dualité psychique qui te traverse, qui me traverse, qui les traverse, qui nous traverse tous ! Et, évidemment, celle-ci ne se résout pas — elle s’habite, elle s’incarne dans une dynamique qui permet à l’une de servir l’autre, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune distinction entre les deux.
— Le survivaliste.